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La chair des étoiles
1917, La Viletelle, un petit village creusois.
Anna, vingt ans, est mariée depuis trois ans à Pierre. Lors d’une courte permission de son mari, Anna prend conscience de l’inconnu qu’il est devenu . D’un époux aimant et attentif, Pierre est devenu un homme dur, violent, aux gestes blessants.
Entre une belle-mère acariâtre et le frère cadet de Pierre, Anne se sent étriquée dans sa « petite vie de paysanne ». Et ce n’est pas Berthe, l’institutrice révoquée qui lui dira le contraire ! Peut-être lui ouvre t-elle les yeux sur des questions qui dérangent et ne fassent voler en éclats toutes ses illusions. Quoiqu’il en soit Anna prend la décision de quitter sa Creuse natale pour la grande ville de Saint Etienne.
Elle entre dans une usine d’armement comme munitionnette : du fait de son éloignement du front, Saint-Étienne devient l’Arsenal de la France ; Anna y travaille de jour, de nuit, jusqu’à en oublier Pierre, jusqu’à en devenir folle et vouloir en finir….
Et puis Simon, un juif rescapé d'un camp de prisonniers en Allemagne, la sauve du suicide ; c’est le coup de foudre... Anna ose alors espérer que sa vie va devenir merveilleuse, illuminée par ce grand amour… mais l’ombre de Pierre resurgit…. Pierre qui a fait entrer l’horreur dans leur intimité, la laissant seule face à une désespérante interrogation. « Je leur ai donné un agneau, ils m'ont rendu un loup. » Comment est-ce possible ? Qu’a-t-il bien pu subir sur le front ?
Avec Simon, l’amour est différent. Anna vient à en oublier que le corps des femmes appartient à la Nation ; la société n’accepte pas cet adultère, tandis qu’un soldat, son Pierre, héros décoré de la croix de guerre se bat encore dans les tranchées.
La société l’a déjà condamnée… La haine se déchaîne contre elle : en trompant son époux, Anna trompe tous les soldats. Elle est condamnée pour adultère et est emprisonnée pour plusieurs mois. Elle y retrouvera d’ailleurs ses amies syndicalistes. IL ne fait pas bon d’être ouvrier et de surcroît une femme, par ses temps troublés.
L’humiliation, Anna connaît bien : avec sa belle-mère, sa dernière nuit avec Pierre, la prison et maintenant la rue….
Elle a tout perdu, elle est épuisée et à moitié morte de faim lorsque surgit le beau militaire américain William Allenby : « Je veux vous aider à vous relever, Anna. Pour vous, mais aussi pour le principe. Au nom d’une certaine idée de l’homme. De sa liberté. Je veux confondre les imbéciles qui se sont acharnés à votre perte. (…) Rappeler à tous ces lâches que notre cœur nous appartient ainsi que notre corps. »
Cette descente aux enfers est pour Anna le début d'une reconstruction. Comprendra t-elle un jour « qui a rendu Pierre méconnaissable. Qui a fait d’un mari paisible un loup blessé revenant au pays » ?
Anna est à la quête de son identité : « chercher dans la manière qu’on a eu de m’aimer ou de me haïr les signes dispersés de mon identité ».
La guerre n’est toujours pas terminée et elle s’engage en donnant de son temps au CARD, le comité américain pour les régions dévastées. « Bergère des ruines », seule avec son chien Bull, au milieu du néant, elle apprend à se connaître…. Maintenant qu’elle a tout perdu, elle se sent libre.
La vie ne l’aura pas épargné mais elle aura peut-être appris une chose : « tous les amours se ressemblent. A vif. Taillés dans la chair des étoiles. » Ah, j’oubliais, elle sait ,maintenant, que les hommes pleurent aussi….
Avec sensibilité, l’auteur Jean-Guy Soumy dresse le portrait d'une jeune femme aux prises avec la Grande Guerre et tous les grands bouleversements qui en découlent ; Anna témoigne du vécu des femmes de son époque : nous savons tous que les femmes sont massivement entrées à l’usine, qu’elles ont labouré les champs, maintenu les boutiques ouvertes en l’absence des hommes, que leur vie n’a pas été facile, que le quotidien était douloureux, avec des souffrances banales, des difficultés peu glorieuses, mais passées sous silence
Anna témoigne pour ceux et celles dont les noms ont été gommées par l'Histoire ; c’est un extraordinaire roman sur la condition féminine au début du XXème siècle, richement documenté.
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Pour en savoir plus :
1914-1918 – Les ouvriers du bassin stéphanois pendant la Grande Guerre (GREMOS - Groupe de Recherches et d’Études sur les Mémoires du Monde Ouvrier Stéphanois)
L’industrie d’armement à Saint Etienne (Images Défense)
Les traboules stéphanoises (France Info3)
Autour du Panassa à Saint Etienne (Geneanet)
Témoignages allemands du 16 avril 1917 (Des lieux d’histoire dans l’Aisne : Chemin des Dames)
Abécédaire de la Grande Guerre (les brassards rouges)
Affaire, amour, affection : le mariage dans la société bourgeoise au XIXe siècle (Persée)
Le fonds du CARD de la bibliothèque de Soissons dévoilé par le CCFr et Gallica (BNF)
Le Fonds Anne MORGAN ( le CARD)
Tags : 14-18, femme, condition, guerre
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