• Sages femmes

    Sages femmesQuatrième de couverture : « Hantée par des rêves de chevaux fous aux prénoms familiers, poursuivie par la question que sa fille pose à tout propos - a Elle est où, la maman ? " -, Marie vit un étrange été, à la croisée des chemins. Quand, sur le socle d'une statue de la Vierge au milieu du causse, elle découvre l'inscription Et à l'heure de notre ultime naissance, elle décide d'en explorer la mystérieuse invitation. Dès lors, elle tente de démêler l'écheveau de son héritage. En savoir plus sur ses aïeules qui, depuis le mitan du XIXe siècle, ont donné naissance à des petites filles sans être mariées, et ont subsisté souvent grâce à des travaux d'aiguille, devient pour elle une impérieuse nécessité. Elle interroge ses tantes et sa mère, qui en disent peu ; elle fouille les archives, les tableaux, les textes religieux et adresse, au fil de son enquête, quantité de questions à un réseau de femmes, historiennes, juristes, artistes, que l'on voit se constituer sous nos yeux. Bien au-delà du cercle intime, sa recherche met à jour de puissantes destinées. A partir .des vies minuscules de ses ascendantes, et s'attachant aux plus émouvants des détails, Marie imagine et raconte ce qu'ont dû traverser ces "filles-mères ", ces "ventres maudits" que la société a malmenés, conspués et mis à l'écart. A fréquenter tisserandes et couturières, à admirer les trésors humbles de leurs productions, leur courage et leur volonté de vivre, la narratrice découvre qu'il lui suffit de croiser fil de trame et fil de chaîne pour rester ce cheval fou dont elle rêve et être mère à son tour. Car le motif têtu de ce troublant roman, écrit comme un pudique hommage à une longue et belle généalogie féminine, est bien celui de la liberté, conquise en héritage, de choisir comment tisser la toile de sa propre destinée. »

    *

    Nous avons tous commencé notre arbre généalogique en questionnant notre famille ; certains ont pu avoir de rares informations, d’autres ont dû prendre leur bâton de pèlerin et parcourir lesSages femmes chemins de traverse pour avoir quelques brides de réponses.

    L’auteur Marie Richeux s’est laissée prendre au piège dans les trames de son histoire tout en s’appliquant à démêler chaque fil de ses découvertes : l’hôtel-Dieu de Reims, hospices pour indigents et mères célibataires, des toiles, des broderies et des courtepointes.

    J’ai bien failli manquer ce rendez-vous, puisqu’il m’a fallu arriver à la page 83 pour enfin me sentir embarquée dans l’aventure ! … et seulement lorsque l’auteure commence à fréquenter les archives pour retrouver des traces de sa filiation ; elle découvre alors sur plusieurs générations des « filles-mères » toutes liées entre elles par le même métier :

    « Je visualisai les lettres fines et penchées de l’acte de naissance d’Ernestine, et mon sursaut du cœur, à la énième lecture de l’acte, devant le métier de sa mère Marie-Julie : tisseuse. Ernestine avait été couturière, l’état civil et les archives le confirmaient, mais il apparaissait que le travail du fil unissait toutes les générations : Marie-Julie tissait, sa mère Marie, tissait, son père Jean, tissait et des deux frères aussi. »

    Marie est submergée par ses réflexions, tentant de trouver des réponses à ces transmissions, au regard de la société sur ces femmes :

    « Qu’est ce qui avait motivé pendant des siècles la haine et le rejet dont les filles-mères étaient l’objet ? Le fait qu’elles ne soient pas mariées ? Ou le fait que l’absence de mariage rende leur sexualité crue, visible, réelle en somme, pas abritée, pas surveillée, pas régulée ? C’est cela qu’on avait voulu tuer et c’est peut-être cela que je traversais ma manière, bien des années plus tard et dans une toute autre condition. Me dire enceinte, c’était apparaître dans l’habit souillé de la sexualité des femmes. »

    L’auteure se laisse embarquer par le plaisir de l’enquête généalogique ; elle nous entraîne avec elle au gré de ses découvertes – et de ses rêves ! « en suivant la piste des sœurs brodeuses » de l’Hôtel-Dieu de Reims ; même s’il subsiste des interrogations sur la peur de l’abandon, de la mort, bien sûr, les douleurs de l’enfantement, douleurs accentuées par l’absence d’un mari, elle pose ses questions sur

    • les méthodes de l’abandon et son éventuelle reconnaissance,
    • la pratique de la couture et les techniques de broderies « religieusement » conservées,
    • les maisons d’internement des filles illégitimes.

    Dans les archives municipales de Reims, la BNF ou Gallica, les Archives Hospitalières, elle Sages femmesrecherche de possibles réponses au travers de l’« agitation sociale », de « la rudesse » du travail et du quotidien de ces « véritables misères de vie ».

    « Dans les archives de l’état civil, j’avais retrouvé, à la génération suivante, ce même délai entre la naissance de Madeleine en tant que fille naturelle par sa mère Ernestine. J’en avais fait l’occasion d’épaissir le mystère. Avaient-elles songé un instant à abandonner leur enfant ? Avaient-elles hésité à être mères ? (….) Je voulais et ne voulais pas savoir. »

    Elle est émerveillée devant les broderies des femmes, les courtepointes rémoises, mais toujours avec tendresse, respect et poésie.

    « Je savais cela et je venais de faire un grand détour par le XIXème siècle pour prendre ma place dans le peuple secret des tisserandes. » Alors elle coud et découd des histoires au gré des pages des registres d’archives : « il y avait là un vêtement qui me tombait parfaitement sur le corps. Tisser, penser, donner naissance. »

    Marie prend alors conscience, trame après fils, que nous avons toutes, dans nos généalogies, « des femmes, qui, pour sortir de leur condition crasse, ont cousu, à la fois pour survivre et aussi pour créer du beau. »

    Voilà un ouvrage bien difficile à résumer ; le style est élégant, empreint de délicatesse et deSages femmes sensibilité. Il est une quête : Marie cherche sa place dans cet immense communauté de femmes brodeuses-tisseuses….

    « C’était donc ainsi que l’on grandissait, empruntant aux autres, rejouant leur scènes, décalant leurs gestes, leurs bonheurs et leurs chagrins. (…) Je repensai aux couturières, qui n’étaient pas putes. Je repensai à toutes ces femmes, mères d’enfants considérés comme illégitimes, qui, si elles n’étaient pas toujours traitées de putains, l’étaient aux yeux d’une grande part de la société. »

    Ce livre m’a ému ; il m’a touchée car une branche de ma famille, après avoir quitté son Alsace natale en 1872, s’est réfugiée à Reims.

    *

     

    Pour en savoir plus :

    Exposition Sheila Hicks à Pompidou

    Les toiles brodées, anciennes mantes ou courtes-pointes, conservées à l'Hôtel-Dieu de Reims : rapport lu à l'Académie (Gallica)

    Métier à tisser : Sages femmes de Marie Richeux

    Histoires de transmission avec Marie Richeux • Podcast Les Éclaireurs de Dialogues

    Le musée Saint-Rémi à Reims

    Sages femmes

     

    « Les femmes à l'honneur... et leurs droits surtout !Actu MARS 2023 »
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