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D comme DELARUE Charles
Lorsqu'on entreprend de retracer l'histoire d'un ancêtre, il est tentant de se concentrer uniquement sur ses informations directes. Mais pour obtenir une vision complète et nuancée de son parcours, il est indispensable de s'intéresser également aux collatéraux, c'est-à-dire aux membres de sa famille élargie, comme les frères et sœurs, cousins, oncles et tantes, voire plus. Ces individus, bien que souvent perçus comme secondaires, jouent un rôle crucial dans la compréhension du contexte social, économique et culturel de notre ancêtre.
C’est la raison pour laquelle je m’attache toujours à rechercher « la famille élargie » en consultant systématiquement les tables décennales. Ainsi j’ai retrouvé un frère de Clémence Delarue (SOSA 9) mon arrière grand-mère paternelle.
Charles est né le 19 mars 1882 à Mouy, dans l’Oise (AD 60 n°38 page 283/361). Il est ce que l’on appelle « l’enfant du milieu », au sein d’une fratrie de 7 enfants :
Un an plus tard naissait sa sœur, Marie Clémence, puis Mathilde Charlotte qui ne vécut que 3 mois, et enfin Émile, alors que ses parents allaient fêter son 4ème anniversaire. Mais avant sa venue, vivaient déjà Rosa Adèle de 5 ans son aînée, Euphrasie Stéphanie âgée de 2 ans de plus que lui et une petite Rose Euphasie décédée à un mois et que Charles n’a jamais connue.
Charles a 12 ans lorsque sa sœur aînée Rosa Adèle épouse Julien Alphonse DUSUEL ; à la même époque, Félix Faure est élu Président de la République le 17 janvier 1895.
Le 6 avr. 1896 les Premiers Jeux Olympiques, imaginés par Pierre de Coubertin, se déroulent à Athènes jusqu'au 15 avril. Charles a alors 14 ans mais la télévision ne retransmettra pas les épreuves en direct : autre époque ! Il faudra attendre 1935 pour que les français savourent le petit écran.
En 1897, sa seconde « grande sœur » Euphrasie Stéphanie épouse Jules MOURET.
Viennent ensuite le mariage de Marie Clémence avec Émile Théophile DEIBER (mon SOSA 8 ) le 23 décembre 1899, puis celui de son petit frère Émile Achille avec Irène Valentine BENARD, le 2 septembre 1905.
Charles est toujours au domicile de ses parents ; il n’est toujours pas marié… Il a vu partir un à un ses frères et sœur ; mais lui aussi va partir, mais pour une destination toute autre...
1906, Charles a 20 ans et doit effectuer son service militaire. Le 27 avril 1903, il est incorporé à la 8ème Brigade des Chasseurs à pied à Amiens. Il s’engage ensuite pour deux ans le 10 janvier 1906 : il est nommé « sapeur de 1ère classe » le 28 mars 1907. Il s’engage ensuite trois années supplémentaires…. Dans les sapeurs-pompiers de Paris.
Qu’est ce qui a pu pousser Charles à quitter le métier de « cordonnier », le métier de son père, lemétier de son frère, le métier de son beau-frère Émile Théophille, mon Agrand-père paternel (SOSA 8)… J’ai d’abord pensé au patriotisme : les relations franco-allemandes étaient tendues, principalement en raison des rivalités coloniales et des ambitions militaires de l’Allemagne ; la famille d’Emile Théophile a dû quitter l’Alsace en 1871 et laisser derrière elle sa terre natale. Peut-être que Charles ressentait une obligation morale de défendre son pays toujours menacé.
Et puis, je me suis dis que le métier de cordonnier était précaire, surtout en période de crise économique ; l’armée offrait un salaire régulier, des repas et un logement, ce qui représentait une sécurité financière non négligeable à cette époque. L’armée pouvait permettre une ascension sociale plus rapide que dans la vie civile. Voilà des motivations qui montrent que l’engagement militaire pouvait être perçu comme une voie plus prometteuse et valorisante que de rester dans un métier artisanal. Et puis, n’oublions pas le prestige de l’uniforme, ça marche toujours auprès des filles….
Justement, durant sa période d’engagement, Charles s’est marié avec Emilienne Ernestine BOULANGER(AD 75 n°609 page 44/114), une parfumeuse-blanchisseuse originaire de Bury (Oise) ; une petite fille naît de cette union, le 6 février 1909, au domicile parental : 15 rue Descombes à Paris ; mais Madeleine Charlotte ne vivra que dix mois…
En 1911, Charles a résilié son engagement pour revenir à la vie civile ; le couple s’est installé à Bury dans la cité Herminie - rue Duvivier - une cité ouvrière construite par Charles-Claude Collard, pour les employés de son usine de chaussures à Mouy.
La rue Duvivier comprend principalement des maisons individuelles, souvent de style ouvrier - briques rouges des corons - en lien avec l’histoire de la cité Herminie.
Libéré de ses obligations, Charles est rentré chez lui, à Maignelay et occupe désormais un poste de facteur, métier qu’il maîtrise bien puisqu’il exerçait la profession d’agent de liaison dans l’armée. Avec sa femme, il tente de se reconstruire et de fonder une famille ; nait alors la petite Lucie Marie le 10 juin 1913. Mais la maman n’a pas supporté l’accouchement et décède deux mois plus tard.
En 1914, Charles a déjà 32 ans : il est veuf et confie sa petite fille à sa belle famille… le temps de trouver une seconde épouse qui voudra bien prendre le relais de la première.
Six mois plus tard, il épouse Jeanne Augustine HEVIN, une jeune femme originaire de Maignelay. A 31 ans, Jeanne Augustine vit seule avec son père.
Au titre de six années de bons et loyaux services dans l’Armée, Charles est dispensé d’une intégration immédiate. Mais il commence à être malade…
En mai 1916, il intègre le 9ème Régiment de Génie en qualité de sapeur-mineur ; le rôle des sapeurs-mineurs est crucial dans la guerre des tranchées. Ce sont eux qui creusent des galeries souterraines sous les lignes ennemies et y placent des explosifs ; le travail de ces hommes est d’une grande précision et leur tâche est particulièrement dangereuse : ils devaient notamment éviter les contre-mines ennemies. Outre les opérations de contre-minage, ils devaient aussi participer à la construction et à l’entretien des tranchées et abris. Ils étaient souvent impliqués dans des travaux de fortification pour renforcer les positions défensives et résister aux attaques ennemies.
Les opérations se situent aux Ponts-de-Cé, un point stratégique pour sa localisation sur la Loire, facilitant le transport fluvial et la logistique pour les troupes et le matériel militaire.
Le travail d’un sapeur-mineur était donc extrêmement dangereux en raison des risques d’effondrement, d’explosions et des combats rapprochés. Charles aurait pu y laisser sa peau ! Mais ce n’est pas sur le champ d’honneur qu’il est tombé….
Du 25 août au 16 septembre 1916, il est admis à l’hôpital du Grand Palais pour « crachement de sang ». Immédiatement, je pense « peste blanche » et son lot de symptômes bien connus de tous : une toux persistante avec des crachats épais et sanguinolents, des sueurs nocturnes, un essoufflement important, des douleurs thoraciques, une intense fatigue et un amaigrissement caractéristique.
Les conditions de vie des soldats sont extrêmes et éprouvantes. Les rations alimentaires sont insuffisantes et de très mauvaise qualité ; les soldats doivent se contenter de conserves et de pain rassis ; les tranchées sont infestées de vermine, les conditions d’hygiène y sont déplorables. A cela, s’ajoutent le froid, l’humidité - pouvant entraîner des maladies comme la fièvre des tranchées - un stress permanent et une grande fatigue mentale : la menace constante des tirs d’artillerie et des attaques ennemies, les corvées nocturnes comme la réparation des tranchées et des barbelés, une veille permanente dans la peur de mourir à chaque tir d’obus ou d’attaque aux gaz moutarde.
Ces tranchées surpeuplées, suintantes et mal ventilées, créent un environnement propice à la transmission de la tuberculose. La difficulté à dépister les premiers symptômes et la réintégration des soldats tuberculeux réformés avant la guerre ont également contribué à la propagation de l’épidémie. Charles n’y a pas échappé….
Sorti de l’hôpital, il est renvoyé dans son foyer ; le comité de Réforme de Beauvais l’hospitalise de nouveau le 30 mars 1917 au sanatorium de Angicourt pour traitement. Il est ensuite affecté au 10ème Régiment de Génie ; il est réformé temporairement par le Comité de Réforme d’Angers le 21 juin 1917 pour « tuberculose pulmonaire », diagnostic confirmé par le Comité de Beauvais le 29 septembre 1917. Il est renvoyé définitivement à la maison..
La tuberculose affaiblissait gravement les soldats, réduisant leur capacité à combattre, affectant leur moral, et également celui de leurs compatriotes. Les soldats « tuberculeux » sont souvent considérés comme moins dignes de considération que les blessés de guerre, aux plaies plus impressionnantes. Les hommes n’en souffrent pas moins...
Charles est décédée le 21 mars 1918, à son domicile ; mourir chez soi permettait aux soldats de retrouver un environnement familier et paisible, loin des horreurs de la guerre, des tranchées et de toute stigmatisation humiliante.
Espérons que, dans ses derniers moments de vie, il a retrouvé une certaine dignité. Il s’est tué sur le champs de bataille, corps et âme pour sa patrie, même s’il est mentionné « non-mort pour la France »….
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Pour en savoir plus :
Historique du 8e bataillon de Chasseurs à pied, pendant la guerre 1914-1918 | Gallica (bnf.fr)
Historique du 10e régiment du génie : guerre 1914-1918 | Gallica (bnf.fr)
Cité ouvrière, dite cité Herminie - Inventaire Général du Patrimoine Culturel (hautsdefrance.fr)
DP_GP_Grde_Guerre_2014.pdf (grandpalais.fr)
Tuberculose, et autres maladies, pendant la guerre 14-18 – Quéménéven 14-18 (quemeneven1418.org)
Temple de l'Urbex dans l'Oise, cet ancien sanatorium a trouvé preneur (actu.fr)
Petit Historique d'angicourt aout 1914 à 1918 hop de la 2 rm - Forum PAGES 14-18
(6) L’ancien hôpital Villemin situé sur la commune d’Angicourt - - YouTube
Tags : charles, guerre 14 18, challenge 2024, tuberculose
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