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Itinéraire d'un salaud ordinaire
Etudiant en droit, Clément Duprest intègre les services de la police nationale en 1942. Il est intelligent et son sens aigu de l'observation va lui permettre de gravir rapidement les échelons au sein de la « brigade des propos alarmistes », en détectant les ennemis de Vichy, c’est-à-dire les juifs et les communistes. Commence alors la longue carrière d'un fonctionnaire pas tout-à-fait irréprochable.
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Clément Duprest est un fonctionnaire au service de l’État, appliqué, obéissant, peu scrupuleux dans les enquêtes et les traques qu’on lui confie. IL se pose d’ailleurs peu de question lorsque son Supérieur déclare : « au moment choisi, le bien-fondé ou le mal-fondé de la mesure individuelle n’a pas à être discuté. (…) Les réseaux communistes y sont particulièrement nombreux. En plus de cette mission capitale d’assainissement, je souhaiterais de vous dressiez la liste de tous ceux dont le nom a été cité pour faits de nature terroriste. Qu’ils soient suspects, témoins, connaissances, parents des accusés,. Vous ferez en sorte qu’ils ne soient pas dirigés vers les centres primaires de traitement. Ils feront une petite halte dans nos bureaux avant de repartir vers l’Est d’où ils sont venus ».
Il s’applique dans ses activités de propagande au service de l’occupant ; qu’ils soient juifs ou bolchéviques, ce ne sont que de « misérables troupeaux de voyous, de dégénérés, de monstres, suant le crime crapuleux, la peur et la lâcheté... »
Pour chaque mission, il trouve un intérêt comme cette belle journée de juillet alors qu'il se dirige vers un trop célèbre stade parisien : « Il régnait une atmosphère bon enfant qu’accentuait la douceur de juillet. »
Il prend des notes, beaucoup de notes, sur la tranche des journaux, des tickets de métro, il fait des listes, remplis d’innombrables fiches ; mais il demeure prudent ne recopiant « qu’une partie de ces informations sur les fiches du service, soucieux de disposer de quelques bases de négociations en cas de retournement de conjoncture ». Il fait même des fiches sur sa femme Liliane et son fils Guy. Pourtant, il aura à se défendre de trahison et d’intelligence avec l’ennemi….. « Je n'ai fait qu'obéir aux ordres ».
Et comme beaucoup, il échappera à toute condamnation : la France a la mémoire courte….
C’est alors qu’il est envoyé pour deux mois dans le Protectorat, à Casablanca, pour « expliquer les bases du travail à des équipes locales, de leur apprendre les ficelles du métier... » Changement de décor avec la Ville Blanche, ses bidonvilles et ses « yaouleds », des enfants-voyous, sans foi ni loi qui envahissent les quartiers européens. Il est désormais fonctionnaire au service de la République.
Il continue ses fiches.. après les époux Livi (le couple Y. Montant et Signoret), c’est au tour de G. Brassens, qui « donne régulièrement des articles au journal Le Libertaire en usant du pseudonyme Jo la Cédille », Sartre, et tant d’autres….Il consacrait toute son énergie à l’élaboration d’un fichier politique central.
Les gouvernements se succèdent, mais Clément Duprest travaille avec la même rigueur.
Respectueux de ses chefs, zélé sans grande valeur morale, il finira sa carrière comme commissaire principal à un échelon élevé. Il faut bien se « révéler » lorsque sa vie privée est trop étriquée et inconfortable. Il travaille jusqu’à l’épuisement, alors sa femme reste seule, « Seule ce soir : Léo Marjane.. »
Au travers d’une vie professionnelle « exemplaire » d’un fonctionnaire assidu, Didier DAENINCKX nous invite à revisiter quarante ans d'histoire de notre pays, depuis la rafle du Vél' d'Hiv jusqu'à la candidature de Coluche à l'élection présidentielle de 1981, en s’arrêtant sur le gouvernement Vichy, la Libération, la guerre d’Algérie, les mouvements étudiants de 1968, les grèves ouvrières, la répression policière...
L’auteur a réalisé un véritable travail de recherches en fouillant dans les affaires politico-mafieuses, où la France a d’ailleurs recyclé avec brio un certain nombre de « salauds ».
Didier DAENINCKX a décrit un personnage aux comportements répugnants dont les manies laissent à penser qu’il est porteur de troubles obsessionnels avec « Les fiches du Panthéon secret de Clément ».
Ce roman psychologique noir révèle, avec un humour froid et une distance glaçante, les aveuglements, les égarements et les silences de l'Histoire, et interroge sur le devoir d'obéissance d’un fonctionnaire particulièrement dévoué.*
Pour en savoir plus (Fonctionnaire au service de l’Etat)
Histoire de la police en France
Les organes de répression de l'Etat français (Musée de la Résistance)
La Brigade spéciale des Renseignements généraux
Radio-Paris (Wikipedia)
Georges Oltramare, Activiste culturel de droite
France : les historiens et archivistes se heurtent au monde du renseignement (TV5)
Brève histoire des Renseignements généraux (RG) – Site de la Direction Générale de la Sécurité Intérieure
Gestapo rue des Saussaies durant la Seconde Guerre mondiale (AJPN)
EPSTEIN Joseph [Pseudonymes dans la Résistance : ANDRÉ Joseph, colonel Gilles] – Le Maitron
Intérieur des bâtiments de la Guestapo (Police de Sûreté Allemande), 11 rue des Saussaies (Musée de Paris)
Joseph Epstein, le héros occulté (classés BNF)
Missak Manouchian (Musée de la Résistance)
Frère d’Armes – Missak Manouchian (INA)
Après la disparition d'Arsène Tchakarian, les oeuvres inspirées par "l'Affiche rouge" et le Groupe Manouchian (FranceInfo Culture)
Pierre Pucheu, ministre du gouvernement de Vichy (wikipedia)
20 mars 1944 : l’ex-ministre de Vichy Pierre Pucheu est fusillé
France, 1944 : maintien de l'ordre et exception judiciaire. Les cours martiales du régime de Vichy (Cairn)
Josef Svec (Le Maitron)
L'impossible pérennité de la police républicaine sous l'Occupation (Cairn)
Les Brûlures de l'Histoire - L'affiche rouge
Forces françaises de l'intérieur – FFI (Mémoire des Hommes)
Histoire des FTPF : la Résistance par l'action directe (Blog Histoire et Généalogie)
Pierre Laval (Le Maitron)
La Libération de Paris : 24 - 25 août 1944 (Fondation de la France Libre)
Les Brigades Spéciales (wikipedia)
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Pour en savoir plus (Fonctionnaire au service de la République)
Farhat Hached (wikipedia)
Tunisie: Révélations sur l’assassinat de Farhat Hached
Internement, emprisonnement et guerre d’indépendance algérienne en métropole : l’exemple du camp de Thol (1958-1965)
Guerre d'Algérie : qui sont les Harkis ? (GEO)
Massacre du 17 octobre 1961 : la fabrique d'un long silence (France Culture)
La rafle et le massacre du 17 octobre 1961 à Paris | Archive INA
Le procès Maurice Papon | Archive INA
Daniel Cohn-Bendit : "Dans deux mois, on ne me connaîtra plus" (France Culture)
Mai 68 : de la révolte à la légende (Musée de la SACEM)
Occupation de l’Odéon : le théâtre comme agora en 1968 comme en 2021 (France Culture)
"Les Katangais" à l'intérieur de la Sorbonne
Violences policières, les situer pour mieux y résister (Cairn)
KRIVINE Alain, dit Eric, Delphin, Tinville, George, Villetin (Le Maitron)
Il y a 40 ans : la mort de Jacques Mesrine, l'ennemi public n°1
L’affaire Markovic (Wikipedia)
Tags : fonctionnaire, brigades spéciales, Vichy
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