-
L comme Langues
Mon grand-père Henri est né à Mouy, une petite commune de l’Oise. Son père Théophile est né à Reims et son grand-père à Oberhaslach, dans le Bas-Rhin. Donc, tout naturellement, en remontant la branche Deiber, je consulte très régulièrement les archives alsaciennes.
Les AD 67 permettent un accès en ligne, gratuit, des registres paroissiaux et d’état civil conservés dans le Bas-Rhin, depuis le XVIe siècle, pour les plus anciens, jusqu'en 1912.
L'ordonnance de Villers-Cotterêts, promulguée par le roi François Ier en 1539, est un texte législatif qui a imposé l'usage du français dans les actes officiels et juridiques sur tout le territoire.
Cette ordonnance avait pour objectif de favoriser l'unité linguistique et administrative du royaume ; c’est du moins ce que l’on veut bien nous faire croire, mais cette pratique – à mon sens - n’était qu’un moyen supplémentaire pour la Royauté d’asseoir son pouvoir. Nous savons tous que la « langue » est un outil de communication politique, sinon, pourquoi ne pas avoir choisi le catalan, le breton ou bien l’alsacien !
Et bien justement, parlons de la langue alsacienne. Pour réaliser mon arbre, j’ai parcouru le Nord-Pas-de-Calais et les Landes pour la branche maternelle, l’Oise et le Grand-Est pour la branche paternelle. Et je dois dire que les archives du Bas-Rhin sont de loin les plus compliquées…
Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que les actes paroissiaux alsaciens étaient rédigés en latin. J’ai donc fait des recherches pour en savoir un peu plus.
Tout d’abord : parle t-on de « langue » ou de « dialecte » ? La distinction entre une langue et un dialecte est politique, sociale et culturelle ; le dialecte est souvent associé à des variantes régionales. Une langue a des normes écrites et éducatives bien définies, tandis que les dialectes sont principalement oraux : faux ! Le breton, par exemple est une langue qui se parle et s’écrit…. Et l’alsacien ? On parle souvent des difficultés pour la langue bretonne à avoir une reconnaissance légitime, mais l’alsacien a tout autant de complication à être accepté.
Qu’il s’agisse de l’alsacien haut-rhinois ou de l’alsacien bas-rhinois, ces deux langues régionales ont la même origine allemande, de part notamment leur proximité historique.
L'Alsace, région située à la frontière entre la France et l'Allemagne, a une histoire complexe sur le plan linguistique et culturel. En 1539 l'Alsace était sous domination du Saint-Empire romain germanique, et les influences culturelles et linguistiques étaient variées.
L'Alsace a été rattachée à la France à la suite du traité de Westphalie, signé à Münster et à Osnabrück le 24 octobre 1648, mettant fin à la guerre de Trente Ans. Il faudra atteindre 1790 pour qu’émergent les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, en rapport avec ce fleuve majestueux qui draine notamment toute la plaine d’Alsace.
L'Alsace a connu de nombreux bouleversements d'appartenance au fil des siècles en raison de conflits et d'événements historiques : annexée par l'Allemagne pendant la guerre franco-prussienne de 1870-1871, récupérée par la France à la fin de la Première Guerre mondiale en 1918 en vertu du traité de Versailles, de nouveau annexée par l’Allemagne en 1940 puis retour à la France depuis 1945.
A chaque période, l’Alsace a dû s’adapter….
Durant mon adolescence, j’ai souvent été confrontée à des petites tracasseries où l’on m’appelait « schleu » ( et non pas « boche », c’était déjà une avancée !) alors que mon nom de famille avait une origine alsacienne… J’image aisément la difficulté de mon grand-père Henri durant la seconde guerre mondiale et que dire de son grand-père Émile, arrivé à Reims avec un accent très prononcé : son quotidien n’a pas dû être facile….
Même si l'ordonnance de Villers-Cotterêts imposait le français, il y avait souvent une certaine latitude laissée à l'Église catholique, responsable de la tenue des registres paroissiaux, et qui avait une longue tradition d'utilisation du latin dans ses documents officiels. Et puis n’oublions pas, internet n’existait pas encore et les nouvelles n’allaient pas aussi vite, surtout lorsqu’il y avait des réfractaires….
Donc en Alsace, la situation linguistique et administrative a évolué au fil du temps ; la recherche généalogique en Alsace implique la lecture de documents en latin, en allemand, en français, voire dans un mélange de ces langues, en fonction de l'histoire locale et des pratiques spécifiques de la région. Pas facile de s’y retrouver.
Toute à mes recherches d’actes dans les registres, j’ai trouvé l’acte de mariage d’ancêtres directs à la 8ème génération ; plusieurs heures de travail, de recherche de traduction approximative avec « Google Traduction » et quelques réminiscences de mes anciens cours de latin. Mais fort heureusement, le texte n’est pas rédigé en latin allemand.
Je vous ferai grâce de l’homélie religieuse que j’ai d’ailleurs eu beaucoup de mal à retranscrire, pour davantage me pencher sur les ancêtres concernés et leurs parents, ce qui donne à peu près ceci :
« Hodie, die decima quinta mensis Ianuarii anno millesimo septingentesimo septuagesimo primo... »
Aujourd’hui, le quinzième jour du mois de janvier de l'an mil sept cent soixante et onze...
« Mickael Klein, filius Mickael Klein, agricola, et Anna Maria Schnell, defuncti, olim conjugum in Haslach »
Michel Klein, fils de Michel Klein, agriculteur, et d'Anna Maria Schnell, décédée, anciennement mariés à Haslach….
« et Francesca Schumarer filia Josephi defuncti, et Catharina Burgerin olim conjugum in Haslach »
et Françoise Schumarer, fille du défunt Joseph, et Catherine Burger, autrefois mariés à Haslach….
Viennent ensuite les « testes » c’est-à-dire les témoins de l’union :
Florent Weisbeck, meunier et Antoine Geger, agriculteur, tous deux résidants dans la « partie supérieure » de Haslach (côté paternel) et Joseph R(?)insback dans la « partie inférieure » de Haslach.
Pour information, « Hasela superior » est le nom latin d'OBERHASLACH par opposition à « Hasela inferior » qui désigne NIEDERHASLACH.
« Le nom de Haslach provient du cours d'eau de la Hasel (Haselbach) dont la première mention connue date de 817 : Rivolus Hasla, le ruisseau Hasla. Dès 1216 apparaît le nom latin d'Oberhaslach : Hasela superior, devenue en 1389 Obern haselahe, tandis qu'en 1290 est nommée Haselahe inferior, Niederhaslach. Cependant cette commune est généralement désignée du XIe au XVe .s. sous le terme de Haselah, Haselo, etc ». (le site de la commune d’Oberhaslach)
Je pourrais ainsi continuer mon article durant des heures…. Si je redescends la lignée, un siècle plus tard, inévitablement, les actes sont en allemand !
*
Pour en savoir plus :
Kurrentschrift, Frakturschrift (Marques Ordinaires)
Les différences entre l’allemand et l’alsacien (Barbier Traduction)
Déchiffrer des documents d’archives manuscrits à l’aide de l’intelligence artificielle (Udem Nouvelles)
Paléographie : la forme des lettres (Histoire-Généalogie)
Tags : langue, Alsace, hasel, latin
-
Commentaires
oui, la question des langues est très politique, et les langues régionales sont trop souvent qualifiées de patois ou dialectes par ceux qui utilisent les langues dominantes. Ainsi par ex le breton est une langue, celtique, qui possède 4 variantes refionales.Jusqu'au milieu du XXe s, beaucoup de français parlaient en réalité des langues et des patois variés.Merci pour cet article-
Mercredi 15 Novembre 2023 à 09:01
-
Toujours très intéressant, MERCI ! Quelques pistes supplémentaires : https://genealogiealsace.wordpress.com/2022/03/22/sites-et-documents-daide-a-la-transcription-de-lallemand-ancien/
-
Mardi 14 Novembre 2023 à 17:40
-
Vous devez être connecté pour commenter
Les langues, tout un sujet. Le breton, l'alsacien, le bressan (mon grand-père le parle encore)...