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La carte postale
Quatrième de couverture : « La carte postale est arrivée dans notre boîte aux lettres au milieu des traditionnelles cartes de voeux. Elle n’était pas signée, l’auteur avait voulu rester anonyme. Il y avait l’opéra Garnier d’un côté, et de l’autre, les prénoms des grands-parents de ma mère, de sa tante et son oncle, morts à Auschwitz en 1942. Vingt ans plus tard, j’ai décidé de savoir qui nous avait envoyé cette carte postale, en explorant toutes les hypothèses qui s’ouvraient à moi.
Ce livre m’a menée cent ans en arrière. J’ai retracé le destin romanesque des Rabinovitch, leur fuite de Russie, leur voyage en Lettonie puis en Palestine. Et enfin, leur arrivée à Paris, avec la guerre et son désastre.
J’ai essayé de comprendre pourquoi ma grand-mère Myriam fut la seule qui échappa à la déportation. Et d’éclaircir les mystères qui entouraient ses deux mariages.
Le roman de mes ancêtres est aussi une quête initiatique sur la signification du mot “Juif” dans une vie laïque. »*
Lélia Picabia, la mère de l’auteure, reçoit une carte postale, anonyme, représentant l'Opéra Garnier, mentionnant l'adresse de la destinataire, ainsi que quatre prénoms inscrits les uns en dessous des autres : Ephraïm, Emma, Noémie, Jacques. Ceux de ses grands-parents maternels, de sa tante et de son oncle, tous décédés en déportation durant la Seconde Guerre mondiale.
Myriam, la grand-mère est la seule à échapper au funeste destin de la famille entière. Elle a laissé à sa fille et à ses deux petites-filles le terrible poids d'un silence étourdissant…
À la fois récit des origines et enquête familiale, ce roman se dévore. IL était donc impensable pour moi de ne pas partager cet excellent récit familial, tant il est riche de réflexions et de repères historiques. Parce que - vous commencez à me connaître - j’ai vérifié chaque information, ayant le souhait de compléter mes quelques connaissances.
Loin de moi l’idée de juger nos aïeux – qui suis-je pour oser même y penser ! - je me suis toujours demandée pourquoi tous ces gens ne s’étaient jamais révoltés, d’autant plus qu’ils étaient en nombre plus importants que leurs tortionnaires.
Je cherche simplement à comprendre ; c’est d’ailleurs ce qu’Anne BEREST et sa mère ont fait : investiguer dans les boites d’archives pour rassembler, découper, reconstruire la mémoire de sa famille et restaurer avec intelligence l’histoire funeste des Rabinovitch.
« En Egypte, insistait Nachman, les Juifs étaient esclaves, c’est-à-dire : nourris et logés. Ils avaient un toit sur la tête et de la nourriture dans la main. Tu comprends ? La liberté, elle, est incertaine. Elle s’acquiert dans la douleur. L’eau salée que nous posons sur la table le soir de Pessab représente les larmes de ceux qui se défont de leurs chaînes. Et ces herbes amères nous rappellent que la condition de l’homme libre est par essence douloureuse. Mon fils, écoute-moi, dès que tu sentiras le miel se poser sur tes lèvres, demande-toi : de quoi, de qui, suis-je l’esclave ?
Ephraim sait que son âme révolutionnaire est née là, dans les récits de son père. »
Avec intelligence et respect, Anne Berest décortique le processus de recherche pour écrire son roman familial ; au fur et à mesure que l’on tourne les pages, que l’on avance dans l’investigation, je comprends mieux certaines répercussions sur le présent ; ce livre est toutefois très éprouvant, grave, sensible, et je dirai même pudique...
J’ai enfin compris pourquoi toutes ces personnes ont gardé le silence….
« Les déportés s’allongent sur les tapis parce qu’ils ne réussissent plus à être dans un lit. Souvent ils sont à plusieurs les uns contre les autres, pour trouver le sommeil. Tous se sentent humiliés, avec leurs crânes rasés, les abcès et les phlegmons qui infectent leurs peaux. Ils savent qu’ils font peur. Ils savent que c’est une souffrance de les regarder. »Cette carte postale mériterait d'être lue par tous, et notamment expliquée aux lycéens qui, je n’en doute pas, ne seraient pas insensibles au destin de la famille Rabinovitch ; je n’avais que 14 ans lorsque mon collège a passé le terrible film « Nuit et Brouillard »….
Ce livre est un formidable support d’histoire et aborde :
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les juifs discriminés en Russie
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l’envahissement de la Pologne ; « les français et les anglais lancent de faibles offensives, ils semblent ne pas véritablement y croire. »
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la guerre, avec son lot de morts, de déplacés, d’expulsés et de couvre-feux
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les Allemands sur la capitale : Hitler visite Paris le 23 juin 1940 ; « son monument préféré l’opéra Garnier, avec son architecture néo-baroque. » (…) L’idée est de promouvoir la qualité de vie française. Une expression yiddish est cyniquement détournée pour devenir un slogan nazi, Glücklich wie Gott in Frankreich – Heureux comme Dieu en France ».
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le quotidien des parisiens : les écoles réquisitionnées, la croix gammée flottant sur les bâtiments officiels, le nom des rue inscrit en allemand, les tickets de rationnement pour faire ses cours et « les civils doivent aveugler toutes leurs fenêtres en les recouvrant de satinette noire, ou d’un coup de peinture, afin d’éviter le signalement des villes aux avions alliés. »
- Pétain, chef d’état français, sa politique de rénovation nationale et le début de la répression contre les juifs : « Le propre de cette catastrophe réside dans le paradoxe de sa lenteur et de sa brutalité (…) Mais il est trop tard. Cette loi du 3 octobre 1940 considère comme juive toute personne issue de trois grands-parents de race juive ou de deux grands-parents de la même race, si son conjoint lui-même est juif. Elle interdit aux Juifs les métiers de la fonction publique.»
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le recensement de tous les juifs et …. la clandestinité : « Deux frères mythologiques. Ephraim a toujours été travailleur, fidèle à son épouse, soucieux du bien commun. Emmanuel n’a jamais tenu ses promesses (…). En temps de paix, ce sont les Ephraim qui fondent un peuple – parce qu’ils font des enfants et qu’ils les élèvent avec amour, avec patience et intelligence (…) ils sont les garants d’un pays qui fonctionne. En temps de chaos, ce sont les Emmanuel qui sauvent le peuple – parce qu’ils ne se soumettent à aucune règle (…). »
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la spoliation des biens et la longue marche de la déshumanisation…..
Au fil de ma lecture, j’ai assimilé de nouvelles méthodes de recherches, enrichi mon panel d’exploration au travers de documents insoupçonnés, sans rester « accrochée » à mon arbre et me priver d’autres pistes.
Dieu que cette lecture fut difficile, mais tellement captivante !
Si l’on doit retenir une seule chose de livre, c’est que les « Les silences font toujours souffrir…. »
« - Pourquoi tu fais tout ça ? A quoi cela te sert ?
- Je n’en sais rien, maman, c’est une force qui me pousse. Comme si quelqu’un me demandait d’aller jusqu’au bout.
- Et bien moi j’en ai ras le bol de répondre à tes questions ! C’est mon passé ! Mon enfance ! Mes parents ! Tout cela n’a rien à voir avec toi. Et j’aimerais que tu passes à autre chose maintenant. »
Comme cette réplique me fait écho….
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Pour en savoir plus :
L’arbre de Noemie (Geneanet)
L’arbre de Myriam (Geneanet)
Savez-vous ce qu'est une Datcha?
La liste Otto (Gallica)
Les Juifs de Lettonie - De l'oubli à la mémoire (Cairn)
Inauguration de l'exposition "Le Juif et la France " au Palais Berlitz (INA)
La rafle du billet vert (France24)
Les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande (Cercil – Musée mémorial des enfants du Vel d’hiv
Les déportations de France (Chemins de mémoire)
Retour au Lutetia (Les sanglots longs des violons)
Des femmes au service du Reich (Arte)
Un jour à Auschwitz (ARTE)
MORÉNAS François, Guilhem (Le Maitron)
Gabrielle Jeanine Picabia, chef du réseau Gloria SMH (Musée de la Résistance)
Réseau Gloria SMH : états des agents P2 (SHD)
Résistants du Vercors, des vies engagées
Anne Berest / prix et distinctions (Wikipedia)
Tags : carte, juif, postale, lecture
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