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Le gosse
Joseph est né le 8 juillet 1919 à Paris ; c’est un petit bonhomme heureux qui vit entre sa mère, plumassière, sa grand-mère qui perd la tête, ses copains du foot et les gens du faubourg. Mais la vie va se charger de lui voler son innocence et sa jeunesse….. Son univers de « titi parisien » bascule le jour où sa mère disparaît et sa grand-mère est internée à Saint-Anne, où il devient pupille de l'État, un État qui a résolument mis en place tout un système de « protection de l’enfance », dont les bonnes intentions sont pavées de cruauté mais aussi de profit.
L’histoire de ce petit garçon est bouleversante ; l’auteure Véronique Olmi nous invite à suivre l’itinéraire d’un gosse de 7 ans, qui a perdu son père à la fin de la guerre 14-18 puis sa mère victime d’un avortement clandestin qui a mal tourné. Ce livre est déchirant, criant de douleur, brutal, violent, vivant…. Et pourtant, je ne l’ai pas lâché avant de connaître la fin !
Joseph, « il est simplement d’une autre espèce, l’espèce de l’Assistance, il est orphelin comme on est blond, riche, boiteux, ou fille de directeur. »
Au travers de ce récit, Véronique OLMI nous raconte l'histoire de jeunes enfants orphelins, incarcérés dans des bagnes pour enfants dans la première moitié du XXe siècle ; le «redressement» et le travail à outrance, jusqu’à l’épuisement total, remplacent éducation et culture ; les enfants sont asservis à des travaux harassants dans les champs ou à la blanchisserie, anéantis, esclavagés et soumis aux tortures les plus variées ; et Dieu sait que leurs geôliers ont de l’imagination pour contraindre et déshumaniser...
Les sœurs, parlons-en, elles n’ont pas leur pareil pour débusquer et dénoncer les petits colons : « les fautes de la semaine s’accumulent, celles de chaque famille sont notées, et tous les matins, avant leur départ pour l’atelier, on rassemble les colons et chaque chef d’atelier fait son rapport au surveillant-chef : désordre, paresse, bavardage, chant, parole immorale, insubordination, échange de bérets, possession de tabac, vol, guet, maraudage… Tout est consigné. »
De la prison de la Petite Roquette à la colonie pénitentiaire de Mettray, Joseph va connaître l’horreur, et le mot est léger. « Il a appris à laver le linge, à manier le fusil, à se battre, à supporter le froid, la faim et la bêtise, le règlement absurde, la loi des hommesqui se placent sous la loi d’un Dieu vengeur. »
« Joseph doit faire le salut militaire à chaque fois qu’il croise un supérieur, mais il s’y perd : directeur, sous-directeur, inspecteur, aumônier, prévôt du quartier, surveillant général, surveillants-chefs, surveillants, chefs de famille, chefs d’atelier, frères ainés… Qui n’a pas quelqu’un au-dessus et au-dessous de lui ?
Il y a les caïds aussi, bien sûr, pour compléter la hiérarchie. Mais les mères, les grands-mères, les sœurs, sont invisibles évidemment, et on en parle comme des filles perdues, des putains, des bonniches et des hystériques. Ici comme en Picardie, se dit Joseph, elles sont comme Dieu : on ne les voit jamais mais elles sont partout, et on y pense tout le temps. On ne pense qu’à elles. »
De la fin de la 1ère guerre mondiale jusqu’à la montée du nazisme en passant par les victoires du Front Populaire, l’auteur nous entraîne avec brio dans ce Paris d'entre-deux guerres, la vie nocturne d'une capitale cosmopolite, bruyante, vivante, avec ses clubs de jazz, ses cabarets, ses spectacles de music-hall. Au sortir du bagne, Joseph reste enfermée dans son carcan ; les traumatismes sont profonds et rendent compliquée la réadaptation à la vie extérieure.
Et même si son enfance a été saccagée et mise à mal, Joseph entrevoit peu à peu le bout du tunnel ; la résilience amène une petite note porteuse d’espoir quand bien même le spectre de la seconde guerre mondiale pointe le bout de son nez.
Pour en savoir plus :
La Petite Roquette, la prison des enfants maudits
Le scandale de Mettray (1909) : le trait enténébré et la campagne de presse
La colonie agricole de Mettray
Au sujet des décès des enfants de la colonie agricole et pénitentiaire de Mettray en Touraine (Histoire pénitentiaire et justice militaire)
Ancienne colonie agricole et pénitentiaire à Mettray (Carte des monuments historiques français)
Cartes postales « les colonies »
Le Journal des débats salue ainsi le système éducatif de la colonie , présenté comme un modèle du genre (Retronews)
La chasse à l’enfant – Jacques Prévert
« Bagnes d’enfants » (Ministère de la Justice)
De l’isolement aux « bagnes pour enfants » : l'impitoyable justice des mineurs française (National Geographic)
Cirques, hippodromes et pantomimes (Gallica)
Tags : mere, joseph, enfants, mettray, bagne
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