• Mai 2024 - Double généalogique (3/3)

    Mai 2024 - Double généalogique (3)

    Mon troisième double généalogique est né en 1810 à Niederhaslach, dans le Bas-Rhin.

    Oberhaslach et Niederhaslach sont deux communes situées en Alsace, deux charmants villages ayant une histoire commune. Ils ont été fondés après la destruction du village de Haslach en 1214, pour donner naissance à OBERHASLACH en amont et NIEDERHASLACH en aval.

    1214 est la date d’une célèbre bataille à Bouvines, commune du comté de Flandre (dans l’actuel département du Nord), en France ; elle opposait les troupes royales françaises de Philippe Auguste (1165 – 1223) de la dynastie des Capétiens, à une coalition constituée de princes et seigneurs flamands, allemands et français, renforcés par des contingents anglais.Mai 2024 - Double généalogique (3/3)

    La victoire a été remportée par le roi de France et a marqué le début du déclin de la prédominance seigneuriale. Mais l’Alsace – telle que nous la connaissons aujourd’hui – appartenait au Duché de Lorraine, c’est-à-dire une province du Saint-Empire Romain Germanique, qui ne sera rattachée au Royaume de France qu’en 1766. Rappelons par ailleurs que les Alsaciens-Mosellans changeront quatre fois de nationalité, avant de devenir définitivement français aujourd’hui…..

    Haslach détenait sa dénomination de « Haselbach », cours d’eau de la Hasel, qui sillonne la vallée de la Bruche.

    Au stade de mes recherches, je peux dire que la famille Deiber a longtemps navigué entre Oberhaslach et Niederhaslach. Il faut croire que les Alsaciens sont très attachés à leur terroir et à leur culture.

    L’histoire de Niederhaslach remonte à des temps très anciens puisque la vallée constituait une importante voie romaine pour franchir la chaîne des Vosges ; l’origine du village remonte au temps de saint Florent qui fonda en ce lieu un monastère et succéda à saint Arbogast sur le trône épiscopal de Strasbourg vers la fin du VIème - début du VIIème siècle. Il va sans dire que dans les ramifications de la branche DEIBER, fleurissent les prénoms de Florent et Arbogast.

    Me voici donc avec deux « Françoise DEIBER » nées toutes deux à Niederhaslach en 1810, et cousines  :

    • Françoise, née le 26 février 1810, est  la fille de Antoine, frère cadet de Nicolas, mon SOSA 64 ; je suis une descendante à la 5e génération d'un cousin de Françoise ; l’enfant décédera le 23 octobre de la même année

    • et Françoise, née le 26 septembre 1810, la fille de Joseph, et dont le grand-père paternel est Jean, mon SOSA 128.

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    1810, c’est la pleine gloire de Napoléon, après les victoires d’Ulm et d’Austerlitz en 1805 ; ces batailles ont d’ailleurs démontré la puissance militaire de l’Empire français et le génie stratégique de l’Aigle. Un maigre répit pour les peuples avant la déferlante de violences : après la défaite à Leipzig en 1813, les Cosaques de l’armée russe ont traversé le Rhin et envahi l'Alsace. 1814 fut une période de pillages, de destructions et de viols.

    *

    Je vais donc vous parler de l’histoire de cette dernière Françoise, enfin, dernière pour le moment… sait-on jamais !

    Ma principale difficulté fut – non pas de trouver les actes paroissiaux – mais de les traduire ; ils semblent être rédigés en allemand… Il est vrai que l’Alsace a longtemps été sous influence allemande durant de nombreuses périodes et a connu des changements de souveraineté entre la France et l’Empire germanique. Le dialecte alsacien était essentiellement oral, donc tout naturellement, les actes français ont refait doucement leur apparition, jusqu’à de nouveau disparaître en 1870 .

    Mai 2024 - Double généalogique (3/3)

    Françoise est la petite dernière d’une fratrie de 9 ; si peu d’enfant me direz-vous, mais ceux-ci, j’en suis certaine ! Il pourrait bien y en avoir d’autres avant 1796 puisque les parents de Françoise se sont unis en 1792, mais je n’ai rien retrouvé, à ce jour ; nous sommes bien d’accord, ce n’est pas parce que je n’ai pas trouvé qu’ils n’existent pas !

    Il y a donc neuf enfants, pour la plupart d’entre eux, arrivés à l’âge adulte et ayant fondé une famille :

    • Marie Anne, née en 1796, qui épousera Jacques, un tailleur de pierres, avec lequel elle aura

      au moins 3 enfants,

    • Johannes, né en 1797

    • Joseph, né en 1799, quittera Niederhaslach pour épouser Véronique et s’installer dans la

      région de Colmar avec sa petite famille, ; il exercera la profession de « sommelier » - tiens ! un réfractaire à la pierre !

    • Florent, né en 1802, sera tailleur de pierres, fidèle aux traditions, et restera avec son épouse

      Françoise (encore une autre !) et ses enfants sur Niederhaslach,

    • Nicolas, né en 1804 mais qui ne vivra que 25 jours,

    • les jumeaux, nés en 1805 :

          •  Antoine, se mariera deux fois (1ère épouse décédée) et restera sursur Niederhaslach avec femme et enfants, tailleur de pierres comme ses pères,
          •  François, tailleur de pierres également, épousera Françoise (et une de plus !) ets’installera définitivement avec toute sa famille sur Niederhaslach,
    • Catherine, née en 1808, a épousé Pierre, un journalier de Niederhaslach ; sa mère a déjà 48

      ans ; l’année suivante naîtra Françoise.

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    Françoise n’a que 14 ans lorsqu’elle perd son père, décédé à l’âge de 59 ans ; elle en 24 lorsque sa mère meure. Puisqu’elle n’est pas encore majeure, il lui faut un représentant car  la femme passe de la tutelle de son père à celui de son mari et Françoise n’a pas encore trouvé de conjoint.

    Après avoir passé beaucoup de temps sur les tables décennales, les actes paroissiaux et les actes d’état civil de la commune de Niederhaslach, j’attaque le registre des recensements. Ceux-ci me confirmeront la composition de la famille.

    Le premier recensement digne de ce nom est celui de 1836 car le recensement de 1819 n’est qu’une simple énumération des habitants de la commune, classés toutefois par genre et tranches d’âges.

    Sur le recensement de la commune de Niederhaslach en 1836, les familles sont regroupées par quartier et les professions sont mentionnées ; une colonne « observations » a même été ajoutée.

    C’est ainsi que je retrouve Françoise au domicile de sa sœur Catherine, enfin, plus exactement, ce sont les beaux-parents COLLIGNON qui hébergent les jeunes gens ; Catherine a épousé Pierre, journalier, et la maman a mis au monde une petite « Catherine ». Pas très original tous ces prénoms….

    Il me faut rester très vigilante aux dates et filiations pour éviter toute homonymie malvenue.

    Le 23 août 1836, Françoise épouse Valentin SIGRIST, barbier de profession et originaire de Bernardswiller, une petite commune à 4 heures de marche de Niederhaslach, tout près de la grande ville d’Obernai.

    Durant leurs six années de mariage, le couple aura 4 enfants :

    • Françoise, décédée à 3 ans en mai 1840,

    • Laurent, décédée à 22 mois, en juin 1840,

    • Ferdinand, le seul rescapé de la fratrie,

    • Célestin, décédée à 2 mois en 1841.

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    Françoise est donc restée seule avec son petit Ferdinand de deux ans ; toutefois, le 29 janvier 1844, elle épouse un natif de Niederhaslach, Joseph Bastien GREITNER ; le couple aura 4 enfants, dont un seul arrivera à l'âge adulte :

    • Catherine, née en 1844, décédée à 2 ans,
    • Alexandre, né en 1846, décédé à 3 mois,
    • Valentin, né en 1849, part se marier à Cologne, le 6 avril 1875, dans le département du Gers, avec Marie Anne Eugénie REGRAFFE
    • et le dernier, Jean, né en 1850, décédé à 21 mois.

    Mai 2024 - Double généalogique (3/3)Au XIXe siècle, la mortalité infantile était élevée en France : un nourrisson sur quatre en moyenne n’atteignait pas son premier anniversaire. Selon les calculs du docteur Bertillon Jacques – à ne pas confondre avec le célèbre fondateur de l'anthropométrie judiciaire - le taux de mortalité infantile en France dans les années 1860 était de 22% environ ; nous voyons bien que dans les branches de nos arbres, toutes régions confondues, les décès d’enfants en bas âge sont très importants. Sans compter bien évidemment, les interruptions de grossesse qui n’étaient mentionnés dans aucun acte...

    Les conditions de vie, les pratiques médicales et les maladies courantes de l’époque ont toutes joué un rôle dans la mortalité infantile ; les maladies comme la variole, le choléra et la diphtérie, des affections comme la fièvre, la diarrhée, les éruptions cutanées, étaient souvent traitées avec des potions à base de plantes, de poivre, de café, de jaune d’œuf ou d’eau-de-vie. Le médecin, souvent appelé très tard, ne pouvait que constater le décès de l’enfant.

    En parcourant les recensements, je n’ai trouvé qu’un seul médecin pour les deux communes d’Oberhaslach et Niederhaslach dans les années 1830.

    Malgré toutes les douleurs, tous les chagrins que ces femmes ont enduré, il faudra continuer à vivre et reprendre chaque matin les mêmes tâches.

    *

    Dès l’aube, la journée d’une femme commence par la préparation du feu, essentiel pour la cuisson des repas et le chauffage de la maison ; la cheminée nécessite un entretien constant, et les cendres doivent être vidées régulièrement. Elle enchaîne sur la préparation des repas, souvent à partir de produits de base : le pain, par exemple, qu'il faut pétrir et cuire, le broyage du grain pour faire de la farine ou la fabrication du beurre à partir de la crème. Ensuite, vient le temps du potager avec la récolte des fruits et des légumes – si la saison le permet et si la terre est assez riche – puis le nourrissage des poules et des lapins. Si son homme a chassé, elle devra préparer la bête – plumer ou dépecer - pour la cuire. Mai 2024 - Double généalogique (3/3)

    Après avoir nettoyé - balayer, épousseter, et récurer les sols - et rangé sa maison, elle se rend au lavoir ; le lavage du linge représente une autre tâche particulièrement pénible ; tout le linge est lavé à la main, à l’eau froide ; il faut frotter vigoureusement les vêtements sur la planche à laver, puis les rincer, les essorer, pour ensuite les étendre pour sécher, quel que soit le temps.

    Ne croyez pas que la journée soit terminée, la femme, responsable des enfants – surtout des filles ! - est le garant de leur éducation morale et religieuse. Très jeune, la petite fille apprend toutes les tâches qui incombent aux femmes….

    Lorsqu’elle peut enfin s’asseoir pour se reposer, elle prend son ouvrage Et s’il faut apporter des soins aux malades, aux aïeux du village, c’est encore la femme qui s’y colle.

    Le soir, au coucher, il faudra accorder du temps à son homme, qui a passé une dure journée de labeur.

    Heureusement, les fêtes religieuses et les jours de marché sont des occasions inespérées de renforcer les liens sociaux et d’apporter un peu de gaîté dans un vie bien austère.

    *

    « Franziska » est décédée le 20 octobre 1874 ; l’Empire germanique a envahi le territoire alsacien. Elle avait seulement 64 ans et une vie bien remplie.

    Des huit enfants mis au monde, seuls deux survivront : son ainé Ferdinand, né d’une précédente union, s’est échappé sur Colmar…. Son deuxième Valentin se fera naturaliser et partira dans le Gers.

    Son époux s’éteindra 4 ans plus tard : il n’avait que 63 ans. Sa femme est inhumée à Niederhaslach, et il n’a pas eu le courage de la quitter.

    *

    Immanquablement, je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec ma propre existence… Domestiques au service d'un maître, mères au foyer, veuves trop jeunes, cantonnées aux rôles domestiques et sans opportunité professionnelle…. Le contraste est saisissant...

    Toutes ces « Françoise » ne sont que des homonynes ; fort heureusement, les avancées technologiques ont radicalement changé le quotidien de toutes les femmes ;  les luttes et les progrès réalisés dans le domaine des droits des femmes et de l’égalité des sexes ont bien avancées au fil des années.

    Bien sûr, il reste encore des défis à relever pour atteindre une égalité complète, mais les progressions sont indéniables.

    *

    Pour en savoir plus :

    L'erreur d'homonymie en généalogie – Auprès de nos Racines (aupresdenosracines.com)

    Comment les frontières actuelles de la France se sont-elles imposées ? (France Culture)

    La bataille de Bouvines   (La France Pittoresque)

    De quoi mouraient nos ancêtres au 19e siècle à la campagne ? (La Gazette du Vendredi)

    La mort d'un bébé au fil de l'histoire (Cairn)

    L’évolution de la mortalité en Europe du 19e siècle à nos jours (OpenEdition)

    La mortalité infantile en France (Ined)

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  • Commentaires

    2
    Lundi 20 Mai à 14:21

    Merci Françoise pour ce magnifique hommage à vos ancêtres. J'apprécie toujours le soin que vous avez à replacer les "personnages" dans leur contexte historique et la délicatesse avec laquelle vous les faites vivre par vos mots. L'exercice du double généalogique est très intime. Je n'en ai pas moi-même, ayant un patronyme de naissance rare (voire en voie d'extinction !). Laure

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