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T comme Tuberculose
Marie Jeanne ferme la porte derrière elle ; elle entend une quinte de toux, là-haut dans leur unique petite chambre. Son fils va rentrer de l’atelier d’un instant à l’autre ; Yolande fait ses devoirs sur la nappe à carreaux de la table de la cuisine.
Elle s’assoit sur une chaise et regarde autour d’elle ; sa maison est propre, mais misérable. Un seul deux pièces pour quatre. Ils ne peuvent pas se payer autre chose. Certes, Henri est rentré à la maison, mais elle a bien vu qu’il crachait du sang. Et puis, il est maigre, trop maigre ; son visage est émacié et pâle ; ses yeux brillent de fièvre. Mon Dieu, que va t-elle devenir avec ses deux petits… Marie Jeanne ravale ses larmes : elle ne doit pas pleurer devant sa fille. Une mère courage, voilà ce qu’elle a toujours voulu être, comme sa mère qui travaillait comme une acharnée, alors que son père buvait sa paie au bistrot. Au moins, Henri n’a jamais bu plus que de raison ; il lui a toujours amené sa paie.
« Tuberculose » qu’il a dit le médecin. « Du repos et de l’air pur » a t-il précisé. Il faudrait qu’Henri parte à la campagne, mais ils n’en ont pas les moyens. Alors il reste couché, avec la fenêtre ouverte. Quelquefois, il se lève et fume sa « gitane ».
Mais la voisine a peur : « un tuberculeux, c’est contagieux, faut faire attention aux petits, madame Deiber ».
Mon grand-père Henri est décédé de la tuberculose, à la maison, le 9 mai 1948. « Mémé Jeannette » savait qu’il n’y survivrait pas ; mais elle a espéré jusqu’au bout…. Et puis il a fallu continuer à vivre, aller travailler, s’occuper des enfants, ne rien leur montrer. Elle s’est entourée d’une carapace pour se protéger ; on disait d’elle qu’elle était dure, méchante, pas maternelle. Mais en fin de compte, ils n’ont rien compris de sa douleur.
Marie Jeanne a bien essayé de se reconstruire, de refaire sa vie de femme, mais « il » était allemand et « je ne peux pas faire ça à ton grand-père après ce que les allemands lui ont fait ». Pauvre « mémé Jeannette » je n’avais que 19 ans lorsque tu m’as confiée ces quelques paroles et je n’ai pas su te répondre. Si seulement…..
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N’en déplaisent aux germanophobes, nous devons à un médecin allemand la mise en évidence du bacille tuberculeux à partir de lésions humaines : le docteur Robert Koch, qui reçu pour cette découverte le prix Nobel de physiologie ou médecine en 1905. Le Dr Koch, qui donnera son nom à la bactérie, est l'un des fondateurs de la bactériologie.
La tuberculose est une maladie redoutable et « sociale » qui n'était pas spécifiquement liée à la guerre elle-même, mais plutôt à des facteurs tels que les conditions de vie difficiles, la malnutrition, le manque d'accès aux soins médicaux et aux mouvements de population importants qui ont souvent accompagnés les conflits armés.
En déportation, et comme tous ses compagnons d’infortune, Henri a vécu dans des conditions très précaires, de surpeuplement, de stress, sous-alimenté, un contexte qui favorise la propagation de la maladie. Sans diagnostic précoce ni traitement adéquat, la maladie a été fatale. Lente, mais irrémédiablement fatale.
Après la guerre, la France – que dis-je le monde – est entré dans une phase de reconstruction : maisons, routes, ponts, installations publiques essentielles. Pénuries et rationnement étaient le quotidien de chacun. Il a fallu relancer la production industrielle, l'agriculture, le commerce.
Les gouvernements et les organisations humanitaires ont également travaillé à la réinstallation des personnes déplacées, à leur fournir un abri, de la nourriture, des soins médicaux. Il fallait s’occuper de millions de personnes déplacées, des personnes désorientées, ayant perdu des proches, leurs maisons, leur sécurité.
A la fin de la guerre, les traitements de la tuberculose reposaient souvent sur des antibiotiques, notamment la streptomycine, qui avait été découverte en 1943, mais elle engendrait des effets indésirables. Le repos au lit était souvent recommandé ; il permettait au corps de se rétablir et de combattre l'infection. Un régime alimentaire équilibré et nutritif était essentiel pour renforcer le système immunitaire affaibli. Un régime alimentaire, alors qu’on manquait encore de l’essentiel….
Et le sanatorium ? Trop mauvaise réputation. Henri ne voulait pas être séparé de sa famille, il l’avait déjà perdu une fois. IL n’était pas un homme difficile ; il faisait toujours ce que Jeannette disait mais là, c’était trop pour lui.
Henri est donc décédé, dans son lit, près des siens. L’hémorragie a eu raison de sa tuberculose pulmonaire. Les derniers jours ont été terribles, mais « Mémé Jeannette » a tenu. Pour lui. Pour les enfants. Sur son lit de mort, Henri a fait promettre à son fils Roland de « ne jamais se syndiquer », de rester transparent et ne pas faire de vague. Mon père a tenu parole.
Pour en savoir plus :
Histoire de la tuberculose (Wikipedia)
La Ligue française contre la tuberculose / par le Dr Sersiron (Gallica)
La tuberculose raconte notre histoire (France Culture)
Tags : tuberculose, henri, maison, malnutrition, deportation
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Commentaires
Très beau récit, on se met dans la peau de Marie Jeanne et ressentons sa souffrance