• Une vie ou l'Humble vérité

    Une vie« L’humble vérité » est le 1er roman de Guy de Maupassant, paru tout d’abord en feuilleton dans le journal Gil Blas en 1883, puis en livre la même année.

    Ce roman est une peinture remarquable des mœurs provinciales de la société normande du XIXème siècle ; nous sommes nombreux à l’avoir étudié lors de nos études, ainsi que le très célèbre « Madame Bovary » de Flaubert. L’Emma de Flaubert se veut aussi réaliste que « la Jeanne » de Maupassant.

    A la lecture d’un article de Retronews, j’ai eu envie de relire cette histoire et de partager l’article « Le grand texte de Maupassant sur l’infanticide ».

    *

    En 1886, Maupassant publie dans Gil Blas un texte bouleversant, à la frontière entre reportage et nouvelle, dont le sujet est tristement banal au XIXe siècle : l’infanticide.

    Une vie ou l'Humble véritéAinsi débute le texte à la lisière entre la nouvelle et le reportage que publie Guy de Maupassant en 1886 dans le journal Gil Blas.

    Comme nombre de ses contemporains, l'écrivain est marqué par l’actualité de l'époque qui met régulièrement sur le devant de la scène médiatique des cas d’infanticides. Le profil type de l'accusée est net : il s'agit d'une femme jeune, seule et, bien souvent, domestique dans une maison bourgeoise. Maupassant s’était d’ailleurs déjà inspiré de ce thème de la servante enceinte et abandonnée dans son roman Une vie

    Entre 1870 et 1890, le nombre d'infanticides relayés par la presse est impressionnant et en constante augmentation. En 1886, Maupassant publie dans Gil Blas un texte bouleversant, à la frontière entre reportage et nouvelle, dont le sujet est tristement banal au XIXe siècle : l’infanticide.

    Une vie ou l'Humble vérité

    En 1878, Le Bien Public rapporte ainsi :

    « On poursuit, année moyenne, près de deux cents infanticides par an ; mais on serait loin du compte si on croyait connaître par là le nombre des crimes de cet ordre qui se commettent chaque année.

    Un calcul sûr permet de les évaluer à deux ou trois mille au moins, et plus vraisemblablement à quatre ou cinq mille.

    On voit combien, malgré leur zèle intempérant, les magistrats sont loin d’atteindre tous les coupables. Il y a mieux : le nombre des poursuites pour infanticide augmente progressivement. Il est de 200 aujourd’hui ; il n’était que de 150 il y a quelque vingt ans.  »

    En 1884, deux ans avant la parution de Rosalie PrudentLe Petit Troyen dresse ce même terrible constat :

    « Il n’y a pas de mois où la chronique des tribunaux ne contienne les débats d’un procès en infanticide, il n’y a pas de semaine où l’on ne trouve abandonné sur la voie publique un enfant qui a eu à peine le temps de naître, et qui est déjà en train de mourir. »

    Une vie ou l'Humble véritéSi les cas d'infanticides sont donc largement documentés, les causes de ce sinistre phénomène de société ne sont pour autant que peu étudiées. Maupassant, lui, loin de s’en tenir à l’acte tristement banal, met en lumière les conditions sociales et la misère qui ont conduit Rosalie à commettre l'irréparable : 

    « La perquisition faite dans la chambre de la fille Prudent avait amené la découverte d'un trousseau d'enfant complet, fait par Rosalie elle-même, qui avait passé ses nuits à le couper et à le coudre pendant trois mois. [...]

    La coupable, une belle grande fille de Basse-Normandie, assez instruite pour son état, pleurait sans cesse et ne répondait rien. On en était réduit à croire qu'elle avait accompli cet acte barbare dans un moment de désespoir et de folie puisque tout indiquait qu'elle avait espéré garder et élever son fils. »

    Ses maîtres ? « Ils ne plaisantaient pas sur la morale », ironise Maupassant, qui se plaît à les dépeindre dans toute leur morgue bourgeoise :  

    « Ils étaient là, assistant aux assises, l'homme et la femme, petits rentiers de province, exaspérés contre cette traînée qui avait souillé leur maison.

    Ils auraient voulu la voir guillotiner tout de suite, sans jugement, et ils l'accablaient de dépositions haineuses devenues dans leur bouche des accusations. »

    Ce que le lecteur apprend en même temps que le tribunal devant lequel comparaît l'accusée, c’est que la jeune femme était enceinte du neveu du maître des lieux, un sous-officier venu passer son congé estival chez son oncle. 

    Et voilà que, blessée par la hargne de ses employeurs, Rosalie se met brusquement à « parler avec abondance, soulageant son cœur fermé, son pauvre cœur solitaire et broyé, vidant son chagrin, tout son chagrin maintenant devant ces hommes sévères qu'elle avait pris jusque-là pour des ennemis et des juges inflexibles » : 

    « C'est arrivé plus tôt que je n'aurais cru. Ça m'a pris dans ma cuisine, comme j'finissais ma vaisselle.

    M. et Mme Varambot dormaient déjà ; donc je monte, pas sans peine, en me tirant à la rampe ; et je m'couche par terre, sur le carreau, pour n'point gâter mon lit. Ça a duré p't-être une heure, p't-être deux, p't-être trois ; je ne sais point tant ça me faisait mal ; et puis, comme je l'poussais d'toute ma force, j'ai senti qu'il sortait, et je l'ai ramassé. [...]

    J'en ai tombé sur les genoux, puis sur le dos, par terre ; et v'là que ça me reprend, p't-être une heure encore, p't-être deux, là toute seule, et puis qu'il en sort un autre, un autre p'tit, deux, oui, deux, comme ça ! 

    Je l'ai pris comme le premier, et puis je l'ai mis sur le lit, côte à côte. Deux. Est-ce possible, dites ? Deux enfants ! Moi qui gagne vingt francs par mois ! Dites, est-ce possible ? Un, oui, ça s'peut, en se privant, mais pas deux ! Ça m'a tourné la tête. Est-ce que je sais, moi ? J'pouvais t-il choisir, dites ?

    Est-ce que je sais ! Je me suis vue à la fin de mes jours ! J'ai mis l'oreiller d'sus, sans savoir. Je n' pouvais pas en garder deux, et je m'suis couchée d'sus encore. »

     *

    Deuils, adultères, fausse couche, ruine, exil...Que s'est-il passé ? Une destinée racontée avec un cruel réalisme et un style limpide : une femme victime de son éducation, de ses rêves, et surtout, insuffisamment armée pour parer aux coups durs de l'existence.

    Pour en savoir plus :

    Le journal Gil Blas

    La vie des femmes domestiques

    La domesticité au 19è et début du 20ème siècle

    Histoire des femmes

    Le rôle des domestiques

    Les gens de maison

    Une vie ou l'Humble vérité

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